La Métacognition

Il est remarquable que l’éducation qui vise à communiquer les connaissances soit aveugle sur ce qu’est la connaissance humaine, ses dispositifs, ses infirmités, ses difficultés, ses propensions à l’erreur comme à l’illusion, et ne se préoccupe nullement de faire connaître ce qu’est connaître.

Edgar Morin, Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur

La construction par l’élève de compétences métacognitives est le préalable pour qu’il s’approprie les savoirs scolaires. Changeons l’Ecole.

Nicole Delvolvé, Professeur Chercheur en ergonomie

Définitions

Métacognition signifie littéralement « connaissance sur la connaissance ». Nous devons ce terme à John Flavell (1976) qui a utilisé cette expression pour faire référence à « la connaissance que l’on a de ses propres processus cognitifs, de leurs produits et de tout ce qui touche, par exemple, les propriétés pertinentes pour l´apprentissage d´informations et de données… La métacognition se rapporte entre autres choses, à l´évaluation active, à la régulation et l´organisation de ces processus en fonction des objets cognitifs ou des données sur lesquelles ils portent, habituellement pour servir un but ou un objectif concret. » (1)

Pour Philippe Meirieu, « la construction d’une personne libre ne requiert pas seulement le partage des savoirs mais aussi l’élaboration progressive de «métaconnaissances », c’est -à -dire de connaissances sur la manière dont elle a acquis, peut utiliser et étendre ses savoirs. « Ces métaconnaissances, qui sont propres à chacun de nous, concerne essentiellement les « stratégies d’apprentissage » … La notion de stratégies suppose que le sujet prend en compte de manière dynamique l’interaction des données de sa personnalité avec les contraintes des contenus et des situations ; elle suppose aussi que le sujet s’interroge de manière réflexive sur les conditions de validité de cette interaction en référant systématiquement la démarche qu’il a utilisée aux résultats qu’il a obtenus. » P. Meirieu précise également que les stratégies d’apprentissage ne sont pas de l’ordre du psychologique seul mais dans un intermédiaire entre « le donné psychologique de l’individu, hérité de toute son histoire personnelle et le donné épistémologique imposé par la structure des objets de savoir » (2)

Pour Nicole Devolvé, « la métacognition est la représentation que l’élève a des connaissances qu’il possède et de la façon dont il peut les utiliser. » (3)

Enfin, pour M. Merri et M.Pichat , « la finalité de l’activité métacognitive est fondamentalement pragmatique : elle tend à étudier et à mieux comprendre le fonctionnement de sa propre pensée afin de la réguler, la contrôler et la modifier pour la rendre plus efficace. » (4)

La plupart des auteurs s’accordent sur le fait de définir la métacognition selon deux axes :  des connaissances acquises par le sujet sur la façon dont il gère les apprentissages, ou « métaconnaissances », et des processus de contrôle ou d’autorégulation.

Les métaconnaissances désignent donc les connaissances que la personne possède sur ses propres mécanismes de pensée, mais aussi des connaissances par rapport à la tâche à réaliser et aux stratégies à mettre en œuvre (procédures, méthodes) pour réaliser la tâche.

Les processus de contrôle sont « un ensemble d’opérations mentales mises en œuvre par le sujet qui vise à contrôler et réguler sa propre activité pour la guider jusqu’au but : le sujet se distancie donc de ce qu’il fait, pour le surveiller et en assurer une plus grande réussite. Ces processus sont automatisés chez les experts et les élèves en réussite scolaire, mais absents chez les novices et élèves en échec.» (5)

Les processus de contrôle se déclinent en :

  • anticipation et planification
  • contrôle et régulation
  • évaluation

Métacognition et apprentissage

Dans une situation d’apprentissage, une démarche métacognitive est importante pour l’élève et pour l’enseignant : pour l’élève en lui permettant de découvrir son propre fonctionnement cognitif, et pour l’enseignant qui accède aux différentes procédures d’apprentissage mises en œuvre par ses élèves. En effet, pour accompagner les élèves vers la réussite, n’est- il pas important de leur permettre d’être conscients des stratégies d’apprentissage qu’ils mettent en œuvre pour apprendre, comprendre et réfléchir sur le monde dans lequel ils vivent ?

Un apprentissage métacognitif des stratégies peut s’organiser de la façon suivante :

  • Avant : pour analyser et planifier la tâche
  • Pendant : pour réguler la réalisation de la tâche
  • Après : pour évaluer et prendre de la distance

Une démarche métacognitive permet donc de mieux accompagner les élèves vers la réussite en organisant le questionnement et l’auto-évaluation, en travaillant sur l’erreur et en favorisant la mémorisation et le transfert, ainsi que l’explicite Anne-Marie Doly (5) :

« De nombreuses études (Cullen, 1985, Wong, 1985, Ostad, 1999, Bräten I., Stokke Olaussen B., 2000) montrent l’intérêt d’apprendre la métacognition aux sujets en échec d’apprentissage pour les faire progresser en même temps dans leur capacité à résoudre des problèmes et dans la motivation à le faire qui paraît déterminante dans ce progrès. Certaines d’entre elles (Bouffard-Bouchard et Al., 1991) interrogent ce qui différencie les élèves qui réussissent (notés ER) et ceux qui échouent (notés EE) et concluent :

– Les EE ne sont pas métacognitifs (ce que confirment des sociologues comme Rochex, et Lahire déjà cités) : ils ne savent pas ce qu’ils savent ni ce qu’ils ne savent pas, autrement dit, ils ne disposent pas de métaconnaissances utiles ; ils n’utilisent pas de stratégie de contrôle : se jettent dans la tâche (ou sont inactifs), gèrent au hasard sans prise de conscience, s’appuient sur des indices de surface et encodent mal la tâche, les données, le but souvent perdu de vue ; ils ne comprennent donc pas ce qu’ils font ; ils abandonnent devant l’échec et sont dépendants de l’aide extérieure mais sans pouvoir l’aider à les aider ; ils ne mémorisent pas ce qu’ils font même quand ils réussissent et ne transfèrent pas. Les ER à l’inverse, sont « métacognitifs », « autorégulés » « transféreurs » « experts en apprentissage » (Bouffard-Bouchard, ibid.) ; ils ont des stratégies devant l’échec et sont persévérants.
Ceux qui transfèrent le mieux sont ceux qui planifient, évaluent et sont autocorrectifs : ils contrôlent leur activité. Les non-transféreurs agissent sans ordre, sans planification, changent facilement de procédure, et l’erreur ne leur apprend rien (Brown, 1987, repris par Mendelsohn 1994). » (5)

Entretiens métacognitifs

La démarche privilégiée pour favoriser une réflexion métacognitive et prendre conscience des stratégies et processus mis en œuvre est la verbalisation.

L’importance de « dire son action » pour prendre conscience de ses stratégies mentales, a été mise en évidence par plusieurs auteurs ( P. Meirieu 1991, P. Vermersch 1994, A. de La Garanderie 1996 )

Il est donc important dans un apprentissage de mettre en place des moments de dialogue pour que l’apprenant prenne conscience de comment il fait pour observer, être attentif, mémoriser, comprendre, appliquer, analyser, etc…

Métacognition et gestion mentale

Si la réforme des Collèges avec  le nouveau « Socle commun » introduit la nécessité d’une démarche métacognitive avec le Domaine 2 «  apprendre à apprendre », nombreux sont les chercheurs qui pointent l’importance pour les enseignants de pratiquer auprès des élèves une pédagogie des moyens d’apprendre, afin de les accompagner  explicitement dans cette démarche, ainsi que le précise Nicole Devolvé :

« Tous les élèves doivent savoir tout simplement de quels outils mentaux ils ont besoin pour apprendre les savoirs scolaires ou « le socle de compétences » que l’Ecole a l’ambition de leur faire acquérir : l’idée n’est pas nouvelle et pourtant dans les réalités de classes, ces compétences sont tellement du domaine de l’implicite que la plupart des élèves ignorent quelles sont les clefs indispensables pour ouvrir la porte de la réussite. » (3)

Or, cinq gestes mentaux ont été décrits par A. de La Garanderie : l’attention, la mémorisation, la compréhension, la réflexion et l’imagination créatrice. Décrire ces gestes mentaux et mettre en évidence leurs structures, c’est les rendre enseignables. Il est donc possible de rendre explicite ce qui est implicite.

C’est donc en mettant en œuvre une didactique des actes de connaissances que l’on va permettre aux élèves de prendre conscience des stratégies d’apprentissage qu’ils investissent pour apprendre et comprendre et  les guider explicitement sur la mise en œuvre de gestes mentaux essentiels pour gérer une tâche scolaire.

C’est  par cette  médiation cognitive que l’on pourra mieux accompagner l’élève sur les chemins de la réussite scolaire.

(1) Flavell, J.H., (1976). Metacognitive aspects of problem-solving

(2 )  Philippe Meirieu, Le choix d’éduquer, ESF 1991

(3) Devolvé Nicole, Tous les élèves peuvent apprendre, aspects psychologiques et ergonomiques des apprentissages, Hachette Education 2005

(4) Maryvonne Merri & Michaël Pichat, Psychologie de l’éducation, Editions Breal 2007

(5) Anne Marie Doly, La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école : https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00835076/document

Pour en savoir plus

Sur les entretiens métacognitifs

Sur métacognition et apprentissage

Nicole Delvolvé, Métacognition et réussite des élèves : http://www.cahiers-pedagogiques.com/Metacognition-et-reussite-des-eleves

Anne Marie Doly, La métacognition : de sa définition par la psychologie à sa mise en œuvre à l’école : https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-00835076/document

Un rappel historique

Even Loarer, L’éducation cognitive : modèle et méthodes pour apprendre à penser. Revue Française de Pédagogie, 1998  : http://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1998_num_122_1_1141